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Tout est possible (The Biggest little Farm) – Un documentaire de John Chester

1 octobre 2019
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John et Molly décident de quitter Los Angeles pour se lancer dans le développement d’une ferme écoresponsable.

Entretien avec John Chester, agriculteur et réalisateur

C’est une chose de se lancer dans l’agriculture, c’en est une autre de le faire tout en réalisant un documentaire sur le sujet. Qu’est-ce qui vous a poussé à entreprendre Tout est possible (The Biggest little Farm) ?

Durant les premières années d’exploitation de la ferme, je n’étais même pas sûr que notre projet de culture, de régénération du sol et de coexistence avec la nature fonctionnerait. Je ne souhaitais donc encourager personne à suivre cette voie, ni me bercer d’illusions quant à la viabilité d’un tel niveau de coopération avec un écosystème. Mais vers la cinquième année, quelque chose a changé. J’ai observé le retour d’une flore sauvage essentielle, ainsi que d’une variété d’espèces d’insectes qui faisaient désormais office de prédateurs, contribuant ainsi à réguler les infestations de nuisibles auxquelles nous étions confrontés. Le déclic s’est produit quand j’ai réalisé que certains facteurs que nous considérions comme des problèmes, telles les herbes que nous pensions mauvaises, étaient en réalité des éléments essentiels au cycle nutritif, qui étaient revenus dans notre sol et nourrissaient nos arbres fruitiers. La terre répondait à ce que nous avions amorcé et reconstruisait son propre système immunitaire complexe. On avait déjà commencé à filmer, mais je ne me suis vraiment lancé dans le projet qu’à partir de là. Je me rappelle le jour où j’ai décidé de le faire. Je marchais dans le verger, non loin d’un arbre qui, quelques jours plus tôt, était entièrement couvert de pucerons – des nuisibles qui tuent certains végétaux en aspirant leur sève. Mais ils avaient tous disparu. À la place, l’arbre était couvert de centaines de coccinelles – l’un des principaux prédateurs des pucerons. Les coccinelles étaient revenues car, avec la ferme, nous avions créé un habitat leur permettant de se développer. Puis, une foule d’exemples du même genre me sont revenus en mémoire et j’ai su que j’étais prêt à raconter cette histoire.

Dans quelle mesure était-ce un défi de mener à bien le tournage tout en étant à ce point impliqué dans la vie de la ferme ?

Mener de front ces deux activités est sûrement la chose la plus insensée que j’aie jamais faite. Il est déjà assez difficile de faire face aux complexités d’une ferme, sans même parler de mettre sur pied un documentaire sur son écosystème… Ça a aussi été compliqué pour notre équipe de fermiers et pour ma famille, surtout durant la dernière année de montage. Je leur suis très reconnaissant de m’avoir soutenu dans cette aventure. Pendant cette année de post- production, j’avais trop de responsabilités sur les bras. Je montais dans la grange avec Amy Overbeck, notre monteuse, et je devais m’éclipser en cas d’urgence – incendie, tempête ou mise à bas difficile –, puis reprendre le montage, couvert de fluides et d’odeurs, et travailler sur l’histoire. Les moments les plus éprouvants ont été ceux où l’urgence impliquait la mort d’une bête malade, où je devais reprendre le montage avec très peu de temps pour encaisser la perte. Il y a plein d’animaux que j’adore ici, donc ce n’est pas évident. On a tourné 365 jours par an sur près de huit ans. Pour moi, il y avait une tension permanente, entre les besoins de la ferme et ceux du film. Mais l’avantage, avec la nature comme avec la ferme, c’est qu’elles ont leur propre rythme. On peut donc anticiper les choses. Il suffit d’observer la routine de la nature, puis d’attendre que ça se passe. C’est le secret pour réussir un documentaire nature, mais curieusement, c’est aussi la méthode idéale pour ce type d’agriculture : observer et anticiper. L’un et l’autre exigent une extrême humilité. C’était un vrai challenge de m’autoriser à filmer nos problèmes et nos erreurs. Il fallait mettre son ego de côté et ne pas avoir peur de les exposer. Bien souvent, nous avions des stagiaires, à la ferme, qui se sont familiarisés avec la caméra et m’ont encouragé à les laisser filmer certaines choses qui me posaient problème. Je savais qu’ils avaient raison, mais j’étais sans cesse tiraillé. À l’arrivée, c’est ce dont je suis le plus fier : on est resté fidèle à la réalité.

Tout est possible (The Biggest little Farm) s’est déroulé en temps réel alors que vous le tourniez. Quelle est la chose qui vous a le plus surpris durant cette période ?

Le retour de tant d’espèces sauvages. Puis les voir s’intégrer aux besoins de la ferme. C’est tout simplement époustouflant.

Le film montre que l’une des grandes leçons que vous avez reçues, c’est que quand on veut devenir agriculteur, il est primordial d’être attentif, d’observer et de comprendre l’interdépendance entre chaque chose. Comment cette leçon s’est-elle traduite plus largement dans votre vie ?

Einstein a dit : « Observez profondément la nature et vous aurez une meilleure compréhension de tout. » Il avait écrit ça à un ami qui venait de perdre sa femme. Le mystère inhérent à la condition humaine, les possibilités infinies qu’offre la complexité de la nature, sont des métaphores non seulement de la manière dont on vit, mais également de la façon dont on affronte les obstacles. Il suffit de comprendre la hiérarchie des systèmes naturels. Ceux- ci n’obéissent pas à un principe de bien ou de mal, mais à une loi des conséquences supérieure. J’ai l’impression que ça nous est en permanence rappelé. On se met en situation de devoir comprendre notre place et le niveau de contrôle que l’on doit exercer.

L’agriculture était l’aboutissement d’un rêve, pour vous et votre femme, Molly. Exerçant ce métier depuis près de dix ans, qu’est- ce qui vous séduit le plus dans la vie de paysan ?

Une des choses particulièrement stimulantes de ce type d’agriculture, où l’on privilégie la culture de la beauté, c’est la quantité d’inspiration et d’énergie que l’on reçoit, même devant les défis et les combats les plus ardus. Quand on se réveille chaque matin et qu’on est inspiré visuellement – par le type de vache qu’on élève ou les cultures qu’on mélange dans les champs –, quand la beauté et la complexité incomparables de la nature se rappellent sans cesse à vous, ça donne envie de rester là pour résoudre les problèmes. Wendell Berry l’a mieux formulé : « Tout n’est qu’affaire d’affection. » On ne décèlera jamais le potentiel de quelqu’un qui va mal si on ne commence pas par l’aimer. Dans notre cas, cultiver la beauté nous a fait tomber amoureux de la terre d’une manière très différente, bien plus complexe et inconditionnelle. Ça nous a conduits à vouloir rester, même dans les moments difficiles, et à trouver des solutions que nous n’aurions peut-être pas envisagées si on ne s’était pas avant tout sentis enivrés par la beauté que nous cultivions.

Quelle est la chose la plus difficile dans la vie de fermier ?

Ça n’arrête jamais. Il faut sans cesse prendre des décisions difficiles impliquant de se demander si ce sera viable sur un plan mental, physique, financier, écologique… Il faut continuellement prendre des décisions sur ce qui fonctionne ou pas.

Tout est possible (The Biggest little Farm) s’ouvre sur un terrible incendie, non loin de la ferme. En Californie, on appelle désormais les feux de forêt « la nouvelle normalité ». Comment la ferme fait-elle face à la menace du feu ?

La seule chose qu’on puisse faire, en tant que fermiers, c’est de prendre les bonnes décisions quant au lieu où déplacer les bêtes en cas d’incendie. On a eu des feux d’une grande intensité autour de la ferme, ces trois dernières années. Et la saison des feux commence maintenant quelques mois plus tôt que par le passé. Au cours du seul dernier mois, nous avons eu trois incendies dans un périmètre de quinze kilomètres autour de la ferme. La seule chose que nous avons évitée, ce sont les vents à 110 km/h. Mais ils arrivent, car on les a chaque année en octobre. Il suffit que les planètes s’alignent – c’est ce qui s’est passé avec les incendies Carr et Thomas – et on est cuit, quels que soient notre intention, le respect qu’on porte à la nature et le sérieux de notre entreprise. On n’est pas à l’abri de l’époque dans laquelle on vit ni de ces gigantesques incendies.

Dans le monde entier, les agriculteurs sont confrontés au changement climatique. Comment gérez-vous au quotidien les dérèglements qui en résultent ?

On essaie d’être exemplaires en apportant notre pierre à l’édifice. Si nos méthodes de régénération ont un impact positif et que d’autres fermes font de même, l’édifice grandira. Évidemment, je ne crois pas que nous seuls, ou une ferme toute seule, puissions enrayer la crise climatique. Mais si chacun y mettait du sien, ça résoudrait le problème – ou tout au moins une partie du problème, car ça ne dépend pas uniquement de l’agriculture. Mais l’agriculture joue un rôle de taille, en particulier pour ce qui est de la dégradation des sols, notamment avec l’utilisation du glyphosate pour détruire les « mauvaises herbes », de peur qu’elles n’interfèrent avec les cultures. Ces herbes permettent au sol d’absorber le carbone de l’atmosphère, de se régénérer et d’alimenter les micro-organismes qui transforment la mort en vie.

Quels sont vos espoirs pour la sortie de Tout est possible (The Biggest little Farm) ?

J’espère que le film atteindra également le jeune public. Bien qu’il comporte plusieurs scènes assez intenses, l’histoire s’adresse aussi à lui. J’espère que les spectateurs prendront conscience qu’une collaboration avec la nature offre des possibilités infinies. Des possibilités qui ont évolué jusqu’à la perfection au cours des milliards d’années d’évolution. Elles n’ont jamais cessé d’œuvrer pour nous. Peut-être avons-nous simplement été trop distraits pour les voir ? Je ne veux surtout pas qu’on ait l’impression que le film cherche à promouvoir un moyen, ou le seul moyen, de cultiver. J’espère que ça conduira le spectateur à penser que la nature a toutes les réponses pour nous. Mais ces réponses ne viendront pas toutes en même temps. Il nous a fallu beaucoup de temps pour en arriver là où on en est, pour ce qui est de la dégradation des sols et la désertification, et il nous faudra du temps pour en sortir. Une seule génération ne suffira pas à tout résoudre. Mais on doit laisser à nos enfants les fondations, un sol en bon état de marche, pour aller dans un sens qui ne menace plus le système immunitaire naturel de la planète. La planète s’en tirera toujours, ça risque juste de devenir un endroit beaucoup moins accueillant pour l’homme, surtout si elle nous considère comme une part intégrante du problème. Il faut donc simplement décider : « De quel côté de son système immunitaire se positionne-t-on ? » Notre réponse à cette question a sûrement des conséquences.

[Source : communiqué de presse]

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